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Le courage nourrit les guerres, mais c'est la peur qui les fait naître.
Alain.
18 mai 1948
Dans un train bondé de soldats, Abdel Hakim Amer, Zakaria Mohieddine et Gamal Abdel Nasser déploient une carte d'état-major.
Le convoi bringuebale en direction d'El-Arich. El-Arich, première étape sur la route de Gaza.
Nasser pointe son doigt sur la carte :
– Mech ma’oul ! Ce n'est pas possible ! Où nous envoie-t-on ? Dans quel enfer nous jette ce roi fantoche ? Les Juifs sont dotés d'un armement cent fois supérieur au nôtre. Que dis-je ! Le nôtre est inexistant ! En face nous attendent des gens cultivés, venus d'Europe, qui ont connu les ghettos et la vie dure. Nos hommes n'ont aucune expérience guerrière ! Notre misérable armée n'a jamais livré de combat. Durant toute la guerre mondiale, hormis quelques artilleurs chargés de la défense aérienne, elle est restée dans l'expectative et n'a jamais tiré un coup de feu !
D'un geste las, il montre ses frères d'armes entassés, l'œil somnolent.
– Dire que ce sont ces malheureux qui ont mission d'occuper des centaines de kilomètres de terre palestinienne et de déloger les kibboutzim !
Abdel Hakim Amer et Zakaria hochent la tête. Leur compagnon a raison. Ils roulent, sinon vers la mort, du moins vers la défaite.
23 heures. Le convoi vient d'entrer en gare d'El-Arich. Les hommes descendent sur le quai. Un quai désert. Personne. Gamal et ses compagnons partent à la recherche d'un quartier général. Ils ne trouvent qu'un simple officier d'état-major en quête de nourriture.
*
Gaza, mai 1948
La ville portuaire est encombrée de blessés rapatriés de Deir Senid, une colonie juive contre laquelle on a lancé l'infanterie égyptienne en plein jour et sans l'appui des blindés. Certes, la position de Deir Senid a fini par être emportée, mais à quel prix ! Il y a bien pire. Dès les premières escarmouches, les soldats se sont aperçus que les munitions fournies ne correspondaient pas au calibre de leur armement. Des canons explosaient sans raison à la tête des artilleurs qui se retrouvaient déchiquetés par leur propre batterie. Pas de ravitaillement. Un service de santé déplorable.
Départ pour Esdoud (Ashod) avec le VIe bataillon. Nouveau désarroi. Nasser croise un soldat qui, à la suite d'ordres et de contrordres, démonte sa tente pour la deuxième fois depuis le début de la journée. L'homme se lamente à voix basse : « Quelle honte ! Quelle honte ! ».
Le 11 juin, le Conseil de sécurité arrache une trêve d'un mois aux belligérants. Le 12, la délégation des Nations unies dirigée par un Suédois, le comte Bernadotte, personnage imposant et pâle, accompagné d'une centaine d'observateurs américains, belges, français et suédois, arrive en Palestine. Dans les jours qui suivent, il expédie un rapport prémonitoire : « En qualité de médiateur, je suis convaincu que nos efforts ne pourront être poursuivis avec succès que si une solution est trouvée aux aspects les plus urgent du problème que pose la grande calamité humaine affectant sept cent cinquante mille réfugiés palestiniens dénués de tout. La situation de ces réfugiés est désespérée. Trente pour cent sont des enfants de moins de cinq ans qui vivent presque entièrement sans nourriture, sauf quelques faibles approvisionnements en farine. »
Le 17 septembre, à Jérusalem, Bernadotte, accusé d'antisémitisme, est assassiné par un membre du groupe Stern.
La trêve décidée par l'ONU se révéla fatale aux armées arabes, alors que Jérusalem était totalement encerclée par l'armée transjordanienne, que les réservoirs et les pompes de Latroun qui l'alimentaient se trouvaient hors d'état et que la chute de la ville était affaire de jours. L'arrêt des combats a permis aux Israéliens de se ravitailler, de se réapprovisionner en armes, alors que, dans le même temps, les armées arabes se contentaient de reprendre leur souffle.
La trêve touche à sa fin.
Au fond, personne ne se fait d'illusions, et sûrement pas Nasser. Quoi qu'il advienne, la guerre est perdue.
Elle le sera.